Visiter un musée autrement avec le tutorat entre élèves
Il n’est pas rare pour un enseignant de voir les élèves rechigner à la perspective d’une visite culturelle… On peut alors imaginer des dispositifs pour rendre la visite de musée plus attractive.
« Ah non, pas encore une sortie au musée » dit allègrement Ryan, élève de 6e dans mon collège de REP+ lorsque je présente les prochaines visites de la classe archéologie. Je le comprends un peu, en me disant qu’à son âge, j’aurais pensé la même chose, sans le dire ouvertement. Comment alors rendre cette visite plus dynamique ?
Une stratégie coopérative, par l’intermédiaire des tutorats, peut être tentée ; les essais de tutorats entre pairs de même âge n’étant pas concluants, nous allons faire une tentative entre cycles avec des tranches d’âge vraiment différentes.
Tutorats à double sens
Début janvier, les sixièmes rencontrent leurs tuteurs lycéens et font la visite du musée de Saint-Dizier de manière complètement autonome (les plus grands ont été préparés par leur enseignante de lycée). Le plus intéressant est que chacun prend son rôle très au sérieux et l’enseignant n’est là que pour faire éventuellement de la médiation. Très vite, le professeur ne sert plus à rien… Peut-être peut-il valider des compétences très discrètement. Nous les voyons prendre de l’autonomie, conceptualiser, prendre conscience et verbaliser des savoirs au-delà de nos espérances. Face au petit Yassine qui dit : « C’est quoi ce tableau ? », le plus grand ne peut pas s’éclipser et répondre : « Je n’ai pas envie ». Les sixièmes se sentent poussés à écouter, car ils savent que la semaine d’après, ils deviendront eux-mêmes tuteurs d’élèves de maternelle.
Sept jours se sont écoulés depuis la rencontre avec les plus grands, et voilà un groupe d’élèves de 5 ans qui arrive. « C’est à mon tour de faire la visite » me dit Léo. Chacun le fait à sa manière, et l’enseignant ne contrôle pas vraiment l’exactitude des connaissances ; ici la découverte d’un lieu énigmatique en binôme et les échanges entre élèves sont bien plus importants. Lucas explique avec ses mots les motifs des fibules, le décor floral des fontes d’art, alors qu’en classe il ne s’y intéresserait guère. Léa s’allonge devant une vitrine et aide son jeune binôme à dessiner une poterie romaine. Le vocabulaire est réinvesti et transformé pour être compréhensible par les plus jeunes. Les regarder conforte l’idée qu’enseigner aux autres et utiliser immédiatement des connaissances est un vecteur important pour motiver les élèves.
Un élève de 6e est allé plus loin dans la réflexion en proposant pour la prochaine visite de musée d’inverser les rôles : « Et si c’était nous qui faisions la visite aux lycéens ? » Sylvain Connac, enseignant-chercheur en sciences de l’éducation, note dans l’un de ses ouvrages [1] que dans les tutorats, il faut accepter de se laisser déborder par les demandes des élèves. L’auteur remarque qu’« une partie de ce qui se construit au sein du groupe échappe au contrôle de l’enseignant et fait de la classe un espace d’aventures ». Ici, le débordement allait plus loin que la réflexion pédagogique préalable, car il était voulu et réclamé par les élèves, acteurs autonomes de leur progression.
Une visite relaxante
Une autre expérimentation a été tentée à l’occasion de la visite du musée de Saint-Rémi de Reims. Une visite traditionnelle, qui sature vite les élèves. Au milieu de la séance, un moment de relaxation a été proposé aux élèves. « Visualisons cette mosaïque en silence », proposais-je aux jeunes face à une œuvre romaine. Puis, avec l’accord du gardien et sous l’œil étonné des visiteurs : « Allongeons-nous autour et fermons les yeux. » Après un exercice de respiration (souffler mentalement sur une plume posée sur la mosaïque), je leur décris l’œuvre d’art, partie par partie. Ensuite, à l’ouverture des yeux, je leur propose de rester allongés et de colorier quelques instants une feuille représentant la mosaïque, à la manière d’un mandala.
Ce moment de pause relaxante permet de concentrer et de donner un autre sens au savoir ; plutôt que d’accumuler les œuvres, travailler différemment quelques-unes me parait avoir plus de sens en Rep+.
Parfois, voir plusieurs œuvres paraît inévitable ; une première visite au Louvre permet de montrer plusieurs chefs-d’œuvre, avec le risque de vite saturer les élèves. Ici une pause a été la bienvenue. En cours de visite, nous nous sommes assis dans les escaliers de la cour Marly, et en fermant les yeux, les élèves ont revécu la journée : « Imaginez le déroulement de votre journée ; revoyez quand nous sommes rentrés dans le Louvre, puis l’arrêt devant la victoire de Samothrace… » Toute la visite fut revécue en visualisation. Cette pause salutaire pour les esprits et les pieds a été plus qu’appréciée par les élèves et les accompagnateurs. Des touristes nous ont même photographiés !
Le soir, Ryan, avant de s’endormir dans le bus, a dit que c’était « assez stylé de visiter un musée ». Et si on allait en voir un autre ?
➜ L’auteur
Merci à Laurent Bastien d’avoir accepté de publier son expérience sur le site sortie-decole.org
Laurent Bastien est professeur d’histoire-géographie et responsable de la classe archéologie au collège REP+ Anne-Frank de Saint-Dizier (Haute-Marne)
A suivre sur Twitter
Lire l’article sur le site des Cahiers Pédagogiques
[1] Sylvain Connac, Apprendre avec les pédagogies coopératives, ESF Éditeur, Paris, 2016.
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